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Le projet Spikiss est composé de deux chercheurs du CNRS, Alain Destexhe et Luc Foubert, qui ont utilisé des enregistrements expérimentaux de l’activité cérébrale sous forme de pointes, pour composer de la musique électronique. Les enregistrements proviennent de différentes sources, toutes publiées.
Ce genre d’approche ne sert seulement juste à faire joli. L’idée de transformer l’activité de neurones en son n’est en fait pas nouvelle, et a déjà eu plusieurs applications en recherche.
Dans les années 60, deux neuroscientifiques nommés David Hubel et Torsten Wiesel tentaient déjà de comprendre le fonctionnement du système visuel en réalisant une expérience dans laquelle ils enregistrèrent l’activité des neurones dans le cerveau d’un chat anesthésié. Simultanément, ils projettent des images dans l’œil du chat pour comprendre ce qui provoque l’activation des neurones et plus généralement leur fonctionnement.
Comme la plupart des électro physiologistes à leur époque, ils utilisent un dispositif pour transformer l’activité neuronale en son. Ils peuvent ainsi entendre les neurones s’activer en temps réel. Cela leur permet de se concentrer sur les images à tester, et d’entendre en même temps la réponse des neurones. Leurs recherches ont d’ailleurs été récompensées par le prix Nobel de physiologie ou médecine en 1981.
Alain Destexhe et Luc Foubert ont étendu cette approche avec d’autres sons, notes et instruments pour réaliser un rendu plus musical. Dans l’approche décrite par cet article, ils se sont un peu plus écartés des données purement scientifiques pour se concentrer beaucoup plus sur l’aspect artistique.
Première étape, enregistrer les neurones en fonctionnement
Les neurones, présents en grand nombre dans le cerveau, s’échangent des informations avec des courants électriques appelés potentiels d’action. Aussi appelées « pointes », ces potentiels d’actions peuvent être enregistrés à l’aide de micro-électrodes, et donc d’un électroencéphalogramme.
Une fois l’analyse réalisée, le résultat se présente comme un tableau, indiquant à quel moment chaque neurone s’est activé.
Figure 1 : Exemple d’activité neuronale enregistrée par quatre micro-électrodes dans le cerveau.
Au lieu de représenter le signal complet, comme sur la Fig. 1, Les électro physiologistes détectent les pics numériquement de façon plus compact (points rouges) et les affichent sous la forme d’une série de points, comme représenté sur la Fig. 2.
Figure 2 : Représentation raster des temps de pointe de quatre neurones en activité.
Images : The Spikiss Project – composing music from awake neuronal activity (cnrs-gif.fr)
Une telle représentation compacte ne contient que la synchronisation des différents pics de chaque cellule et est appelée « raster ». Chaque point rouge est donc un potentiel d’action, et chaque ligne un neurone différent (Cell = Cellule (nerveuse) = Neurone). Ce genre de rasters sont utilisés dans pratiquement chaque article scientifique utilisant ces techniques d’électrophysiologie.
Convertir ensuite des enregistrements neuronaux en musique
Pour convertir ensuite ces enregistrements neuronaux en musique, et en particulier des enregistrements de pics, les chercheurs profitent du fait que les pics neuronaux sont des impulsions, bien définies dans le temps, afin de pouvoir les utiliser pour déclencher un son particulier. Lorsque le neurone émet un pic, le son est joué, les chercheurs associé ainsi chaque neurone à un son privé et particulier.
On peut alors sélectionner un son et jouer ce son chaque fois qu’un certain type de neurone émet un pic. Pour garder l’identité de chaque neurone, chacun d’eux jouera alors d’un instrument de percussion différent.
L’activité rythmique naturelle des neurones est exploitée, en particulier pour les neurones inhibiteurs qui sont utilisés pour les basses et les sections rythmiques. L’activité plus clairsemée des neurones excitateurs est exploitée pour révéler leurs capacités mélodiques, qui sont parfois exacerbées par le choix de l’instrument.
Et enfin on compose une chanson complète utilisant des neurones enregistrés
Alain Destexhe et Luc Foubert ont ainsi réalisé une pièce intitulée « Wake Beats ».
Dans la première partie de la chanson (première minute), l’activité des différents neurones est strictement respectée, ainsi que le moment respectif des pics des différentes cellules.
Cependant, dans la deuxième partie (après la première minute), les deux chercheurs ont suivi une stratégie différente. Ils ont sélectionné des périodes où l’activité des neurones était particulièrement rythmée et intéressante (sur la base de critères totalement arbitraires !), puis ils ont isolé ces périodes, en définissant des « boucles » qui peuvent être jouées plusieurs fois et dans n’importe quel ordre. Ils ont ensuite utilisé des sons plus sophistiqués provenant de synthétiseurs analogiques et/ou numériques.
A l’inverse de la première partie, les timings respectifs des neurones n’ont certes pas strictement toujours été respectés, mais la mélodie de la deuxième partie provient toutefois de l’activité neuronale.
À vous d’apprécier maintenant cette musique des neurones : « Wake Beats »
Pour plus d’informations, tout est expliqué sur la page du projet Spikiss, et vous pouvez retrouver toutes leurs créations sur leur page Soundcloud.
c’est enrichissant merci